Lettre mensuelle CRIIRAD
N°95 – Janvier 2023
Le député de Fessenheim, Raphaël Schellenberger, préside actuellement la « Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France », « causée notamment par les problèmes de production et d’approvisionnement électriques en France ».
La proposition de résolution visait la période courant sur les deux précédents quinquennats. On peut s’interroger sur cette restriction préalable du champ d’investigation, et sur l’entretien de la confusion entre consommation d’électricité et consommation d’énergie, faisant mine d’oublier que l’électricité ne représente que 25% de la consommation d’énergie finale en France, et donc que le nucléaire n’est finalement qu’une petite partie du problème puisqu’il ne représente que 17,5% de l’énergie finale consommée en France…
En réalité, il est très vite apparu que le but de cette commission est de réécrire l’histoire du nucléaire et d’expliquer que ce sont des choix purement politiques et idéologiques qui ont conduit à la situation délicate que traverse actuellement l’énergie nucléaire en France.
L’indépendance énergétique désigne la capacité d’un pays à satisfaire l’ensemble de ses besoins en énergie sans faire appel à des importations sous quelque forme que ce soit. Avec un mix énergétique comprenant 63 % d’énergie fossile importée en quasi-totalité, on se demande comment la France a pu perdre une indépendance énergétique qu’elle n’a jamais eue. Pourtant, dans son bilan énergétique annuel, la France affiche un taux d’indépendance énergétique de 55% !!! Comment est-ce possible ?
Ce taux correspond à la contribution de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables à la production d’électricité dans le bilan en énergie primaire de la France. Mais comment l’électricité nucléaire produite avec de l’uranium importé en totalité peut-elle apparaître comme le principal facteur de l’indépendance énergétique ? La réponse tient dans une « convention statistique » coéditée par l’Agence Internationale de l’Energie et Eurostat. Bien qu’on définisse l’énergie primaire comme celle que l’on prélève directement dans la nature, cette convention affirme que dans le cas de l’énergie nucléaire, l’énergie primaire considérée est la chaleur émise par le réacteur plutôt que le combustible utilisé pour le faire fonctionner.
Ce tour de passe-passe permet, en niant toutes les lois de la physique, de substituer une chaleur nationale (car produite en France) à de l’uranium importé principalement du Kazakhstan, d’Australie et du Niger. Mais il permet aussi que des ingénieurs des mines et des parlementaires finissent par être persuadés de l’indépendance énergétique de la France pour sa production d’électricité !
En réalité, l’indépendance énergétique de la France n’est que de 12 %, essentiellement grâce aux énergies renouvelables. Et si la France veut un jour être totalement indépendante en énergie, ce sera uniquement grâce aux énergies renouvelables.
Retour sur l’émission « Le Téléphone Sonne » du 16 janvier 2023
L ors de cette émission, intitulée « Crise énergétique : le retour en grâce du nucléaire ? », les deux invités de France Inter, Valérie Faudon (déléguée générale de la Société Française d’Énergie Nucléaire) et Nicolas Goldberg (consultant spécialiste de l’énergie à Columbus Consulting) ont énoncé plusieurs contre-vérités et imprécisions.
La CRIIRAD a publié une vidéo en réaction aux plus flagrantes, consultable ici. En complément, voici une analyse du passage consacré au minerai d’uranium.
Selon un auditeur, « l’uranium vient d’Afrique ou du Kazakhstan, ne l’oublions jamais, ils viennent de dictatures qui exploitent les travailleurs ». Mme Faudon répond : « la première réserve dans le monde d’uranium c’est l’Australie, je ne pense pas qu’ils soient vraiment infréquentables […] 40% des réserves d’uranium dans le Monde sont dans des pays de l’OCDE, donc des grandes démocraties ». L’auditeur parle de production d’uranium, Mme Faudon évoque les réserves d’uranium. Ces deux notions sont différentes, comme le montre l’édition 2020 du rapport « Uranium : Resources, Production and Demand » co-publié par l’AIEA et l’AEN (organisme dépendant de l’OCDE).
Les principaux producteurs d’uranium sont, en 2018, le Kazakhstan (41%), le Canada (13%), l’Australie (12%) et la Namibie (10%). Seulement 26% de l’uranium produit dans le monde viennent de l’OCDE, et 57% du Kazakhstan et d’Afrique (en incluant le Niger, 5%, et l’Afrique du Sud, 1%). D’après Le Monde, les principaux fournisseurs de la France entre 2005 et 2020 sont le Kazakhstan (20%), l’Australie (19%) et le Niger (18%).
Concernant les réserves, le rapport AIEA/AEN distingue 4 catégories, selon le coût de production : moins de 40 $/kg, 40 à 80 $/kg, 80 à 130 $/kg et 130 à 260 $/kg.Si 42% des réserves globales (25% en Australie) se trouvent bien dans des pays de l’OCDE, la proportion tombe à 17% pour les réserves les plus accessibles (moins de 80 $/kg). Largement dominée par le Kazakhstan (36% du total mondial), cette catégorie n’inclut pas l’Australie, dont les coûts de production estimés dépassent 80 $/kg pour l’ensemble des réserves.
Si l’auditeur pointe à raison le problème des pays producteurs d’uranium, la réponse rassurante de Mme Faudon ne tient pas compte de l’état réel de la filière de production d’uranium.
NB : au-delà de ce débat de chiffres, la CRIIRAD dénonce depuis plusieurs décennies les pollutions liées à l’extraction d’uranium, en particulier au Niger.
Pour toute question,
n’hésitez pas à nous écrire à : contact@criirad.org